Dating Fatigue de Judith Duportail

Faisant en quelque sorte suit à L’amour sous algorithme, Dating Fatigue de Judith Duportail est à mi-chemin entre une enquête journalistique et un récit autobiographique (ce qui selon moi fait sa force).

Ici, l’autrice prend comme point de départ son burn-out émotionnel né de la découverte du mode de fonctionnement des plateformes de dating mais aussi du comportement des hommes en général qui, il faut le reconnaitre, ont des comportements qui n’incitent pas les femmes à la confiance.

Se développe alors une réflexion sur la manière dont il serait possible de se respecter, de se lancer dans des histoires hétérosexuelles, le tout en naviguant la complexité et les paradoxes de l’amour et du désir.

Dating Fatigue est une lecture très intéressante qui m’apporte de la réflexion sur ma propre situation (malgré le fait que je sois un homme et non une femme, que je teste des app de rencontrer que depuis très très peu de temps). La lecture de l’ouvrage me laisse néanmoins un peu déprimer car aucunes vraies pistes ne semblent s’ouvrir à la fin de la lecture. Si ce n’est, pour l’homme que je suis, de tenter de se comporter de manière décente (ce qui est quand même un comble tant cela devrait être le point de départ de la réflexion et non son point d’arrivée.

L’amour sous algorithme de Judith Duportail

Mélangeant enquête journalistique et récit autobiographique, Judith Duportail s’interroge sur une des applications de rencontre les plus connue et utilisée : Tinder.

Dans L’amour sous algorithme, la manière dont fonctionne Tinder est interrogée : entre marketing de la drague, notes secrètes et algorithmes qui reproduisent, à dessin, certaines attentes patriarcales sur les relations (différence d’âge entre homme et femme, de revenu, de statut); c’est un portait assez sombre qui est brossé ici.

En y ajoutant les effets psychologiques que l’application produit sur ses utilisateurs, analysé ici non pas en consultant des spécialistes mais sur le vécu et ressenti de l’autrice qui narre dans le détail les rencontres, les hauts et les bas de son expérience sur Tinder, le tableau est, je trouve, déprimant.

Dans un article, prolongeant cet ouvrage, l’autrice révèle que le taux de match est de plus très différents entre les hommes et les femmes (de l’ordre de 50% pour elles et 2% pour eux). Cet état de fait amène a un vécu radicalement différent : pour elle le sentiment de plaire suivit d’une avalanche de messages qui soit se ressemblent tous (il n’existe pas mille manière d’effectuer un « premier » contact), soit sont agressifs / graveleux / etc. Alors que pour les hommes, c’est la frustration de ne presque pas pouvoir connecter et la pression pour passer à une version payante.

La lecture de L’amour sous algorithme est une lecture très intéressante mais hautement déprimante. A titre personnel, pour tester depuis peu l’application, je dois dire que je partage le constat que l’autrice fait dans son livre.

Les Couilles sur la Table de Victoire Tuaillon

Ouvrage tiré du podcast éponyme qui s’intéresse à la masculinité contemporaine, et dont tous les épisodes que j’ai écoutés pour le moment sont super intéressants, Les couilles sur la table discute et brosse un portrait de la masculinité contemporaine d’un point de vu féministe.

L’ouvrage se structure en plusieurs parties qui discutent d’un aspect, propose des éléments théoriques, avec références, et des extraits et réflexions tirés des épisodes du podcast qui discutent ces aspects. L’ouvrage se termine par quelques pistes pour, individuellement, faire changer les choses sans pour autant occulter les difficultés et paradoxes qui apparaissent assez rapidement une fois que l’envie de changement s’impose.

Le livre aborde ainsi la construction de la masculinité (du point de vu toujours des sociétés occidentales), les avantages et privilèges inerrant à être un homme, l’exploitation des femmes, mais aussi des hommes, par les hommes, la question de la violence et des pistes pour changer.

J’ai trouvé l’ouvrage très intéressant et un complément écrit bien venu au podcast. Une très bonne lecture.

Les Hommes Hétéros le Sont-Ils Vraiment ? de Léane Alestra

Avertissement : j’ai pas mal hésité avant de chroniquer ce livre. Donc, histoire d’être claire, je parle ici en mon nom (et pas « pour tous les hommes » ou truc du genre), et je suis un homme blanc, cisgenre, hétéro et célibataire après plus de vingt dans une relation hétéro et monogame).

Derrière ce titre peut-être un peu provocateur, ce cache un ouvrage super intéressant et dont la question du titre, Les Hommes Hétéros le Sont-Ils Vraiment ?, se révèle extrêmement pertinent.

En effet, Léane Alestra pose un constat : beaucoup d’hommes qui disent « aimer les femmes », cherchent avant tous à passer du temps entre hommes et leurs compagnes / conquêtes [sic] féminines sont avant tous des moyens de se faire mousser avec leurs potes. De plus, dans de nombreux groupes d’hommes, il y a un paradoxe entre « les amis en premier/avant tout » et « mais surtout nous ne sommes pas homo ».

Fort de ce constat, Alestra décortique la construction de la masculinité dans les sociétés occidentales en démontrant que les normes sociales de la virilités sont avant tous validées par les autres mâles et poussent les hommes qui s’y conforment à valoriser l’amitié masculine mais la sexualité hétérosexuelle « performatives » (c’est-à-dire coucher avec des femmes pour montrer sa virilité, ses talents de « chasseurs », etc. mais au final pas vraiment pour s’intéresser à la personnalité et à l’individualité des femmes en elle-même.).

La grande majorité des hommes se retrouvent donc devant le paradoxe de désirer être entre hommes mais de devoir désirer sexuellement les femmes.

Les Hommes Hétéros le Sont-Ils Vraiment ? est, je trouve, super intéressant et très convaincant dans sa démonstration. A titre personnel, cela met le doigt sur un ressenti que j’ai depuis très longtemps : je ne m’identifie pas du tous avec le model masculin « typique ». Et lire le livre m’a permis de comprendre le pourquoi de cette sensation.

Bref, Les Hommes Hétéros le Sont-Ils Vraiment ? est un livre que je trouve très important. Mais, je ne suis pas certain que ceux dont il parle seraient près à le lire et à accepter le miroir qui leur est tendu.

Désirer la violence de Chloé Thibaud

Désirer la violence, ce que la pop culture nous apprend à aimer de Chloé Thibaud est un essai qui analyse les œuvres de pop culture (cinéma et séries principalement) en se posant la question de ce qu’elles présentent comme désirable et normal. L’essai est centré sur les femmes et donc sur les comportements et situations qui le concernent (que cela soit des attentes sur leurs comportements ou sur le comportement des hommes à leur égare).

L’idée sous-jacente est que même si les individus ont, bien entendu, leurs libres arbitres, la pop culture définit quand même des attentes et des possibilités qui vont rendre des choses désirables ou envisageables.

Les différents chapitres de Désirer la violence discutent chacun d’un aspect des imaginaires créés : la question des attentes sexuels (baisers volés, actes sexuels forcés, consentement, etc.), les relations homme-femme (bad boy, attentes dans une relation, manipulation, masculinité toxique, etc.), les violences conjugales, les violences sexuelles, les féminicides, la vengeance et la violence.

Désirer la violence, ce que la pop culture nous apprend à aimer est un essai super intéressant, bien écrit et agréable à lire. Il poste, je trouve, d’excellentes questions et proposent des pistes de réflexions pour réfléchir sur la culture que nous consommons et ce qu’elles ouvrent ou ferment de possibles.

Phallers de Chloé Delaume

Court roman de lecture facile et rapide, Phallers se déroule dans une France du futur très proche dans laquelle des femmes se retrouvent avec le pouvoir de faire exploser les pénis.

Le roman suit le parcourt de Violette, une ado de dix-sept qui se retrouve un beau jour avec ce pouvoir et rejoint un groupe de femmes l’ayant aussi et qui décide d’utiliser ce pouvoir pour envoyer un avertissement aux abuseurs et violeurs.

Phallers déroule alors une histoire rocambolesques faite d’anecdotes, assez sordides mais réelles, sur la culture du viol et la masculinité toxique, et de situation d’explosions de pénis assez cathartiques avec un groupe d’hommes « qui sont des vraies hommes » en guise d’antagonistes.

Le Consentement de Vanessa Springora

Récit autobiographique, Le Consentement raconte comme V. (l’autrice) s’est retrouvée, à l’âge de 13 -14 ans, à devenir l’amante de G. (Gabriel Matzneff) un homme de plus de trente ans son ainé (et écrivain à succès qui ne cachait pas son penchant pour les très jeunes filles).

Le Consentement fait le récit glaçant de l’emprise que cet homme avant sur cette jeune femme en décortiquant la manière dont leur « histoire » a pu naitre, s’est développé et s’est finalement terminée. L’autrice montre bien que, à cet âge-là, de consentement, il n’y en a justement point. Elle montre également les mécanismes d’emprise utilisé par Matzneff pour maintenir près de lui des jeunes filles bien trop jeunes.

Tout pour tout le monde de Eman Abdelhadi & M. E. O’Brien

Tout pour tout le monde – Une histoire orale de la Commune (ou Everything For Everyone: An Oral History of the New York Commune, 2052-2072 en VO, version que j’ai lue) est un roman qui sort en mai prochain en français aux éditions Argyll.

Le texte se présente sous la forme d’une collection d’entretiens (menés à la fin de la décennie 2060 début de la décennie 2070 à New York) qui éclairent la manière dont le monde dans lequel aujourd’hui (2024) nous vivons s’est effondré et dont la société s’est reconstruit sur un modèle différent (les Communes).

Centré principalement sur les USA, et New York, l’histoire présentée touche également le reste de monde. Des années marquées par la violence de la fin du capitalisme (guerres internationales, guerres civiles, lutte des classes, etc.) jusqu’à la mise en place des Communes qui remplacent les gouvernements par des assemblées citoyens ancrés dans un cadre local et qui ont permis la mise en place d’un système collectiviste où les besoins de chacun sont garantis et qui redéfini les relations familiales, Tout pour tout le monde brosse un panorama d’un futur violent mais aussi montre qu’une autre société est possible.

Et c’est dans ce sens que Tout pour tout le monde est une lecture très intéressante. En effet, le roman permet de faire voir qu’une autre manière d’organiser la société est possible. Certains trouveront peut-être que les Communes sont utopiques, mais imaginer un monde où les besoins de base de chacun sont garantis, où les relations familiales et amoureuses sont fluides pour refléter les affinités de chacun, et où les individus sont acceptés pour ce qu’ils sont me semble quelque chose d’important et de souhaitable.

Triste Tigre de Neige Sinno

Difficile pour moi de parler de Triste Tigre de Neige Sinno. Il y a eu plein d’articles et de chroniques par des gens qui ont une bien meilleure plume que moi et le sujet très important du livre est sensible. En effet, dans ce texte multi-primé, Neige Sinno raconte et décortique les viols que sont beau-père lui a fait subir entre ses sept et quatorze ans. Elle le fait avec une plume limpide et incisive qui donne à son texte une clarté éblouissante.

Triste Tigre n’est pas le récit détaillé des sévices qu’elle a subit (il y a quelques mentions, mais très peu de détails crus) mais une exploration détaillée, via le récit de sa vie (du début des sévices jusqu’à sa vie actuel au Mexique, en passant par le procès, qui, fait rare et probablement du aux aveux de son beau-père, a vu son agresseur condamné, de plusieurs aspects de la condition humaine.

En effet, le récit est complété par des réflexions sur ce que vit intérieurement une victime et un agresseur. Mes mots sont maladroits, mais le lecteur trouvera dans Triste Tigre une réflexion sur le mal, la perversion, l’humanité, les mensonges qu’on se racontent et bien sur le tabou de l’inceste.

Triste Tigre est percutant, bien écrit et dans une réflexion profonde. Une lecture qui ne me laisse pas sans énormément de choses à réfléchir et des questions sur la part sombre de l’être humain.

When Women were Dragons de Kelly Barnhill

Les USA, 1950, Alexandra Green, Alex, est fille unique dans un couple où le père est souvent absent et la mère femme au foyer (bien qu’ayant fait des études de mathématique brillante). Sa tante, femme forte et atypique, est une ancienne pilote durant la guerre, est également une présence importante dans sa vie.

Lorsqu’en 1955 une proportion importante de femmes se transforme en dragon, dont sa tante, la vie d’Alex change car sa cousine vient vivre avec elle et devient sa sœur. La mort, quelques années plus tard, de sa mère et le remariage de son père vont la faire grandir vite car ce dernier les exile alors loin du foyer.

When Women were Dragons brosse un portrait sans concessions de la place de la femme dans le monde profondément misogyne des États-Unis des années 50 et 60. Au travers de l’histoire de Alex, racontée à la première personne dans un texte écrit au crépuscule de sa vie, dans un monde mâtiné de magie : les femmes peuvent devenir des dragons.

Au final, le roman utilise peut-être une métaphore très transparente (« la femme est un dragon ») pour parler du coming of age d’une jeune fille qui fait face au monde des hommes. Mais l’autrice le fait avec un certain brio qui fait de cet excelent roman une lecture très agréable .