Le Consentement de Vanessa Springora

Récit autobiographique, Le Consentement raconte comme V. (l’autrice) s’est retrouvée, à l’âge de 13 -14 ans, à devenir l’amante de G. (Gabriel Matzneff) un homme de plus de trente ans son ainé (et écrivain à succès qui ne cachait pas son penchant pour les très jeunes filles).

Le Consentement fait le récit glaçant de l’emprise que cet homme avant sur cette jeune femme en décortiquant la manière dont leur « histoire » a pu naitre, s’est développé et s’est finalement terminée. L’autrice montre bien que, à cet âge-là, de consentement, il n’y en a justement point. Elle montre également les mécanismes d’emprise utilisé par Matzneff pour maintenir près de lui des jeunes filles bien trop jeunes.

Tout pour tout le monde de Eman Abdelhadi & M. E. O’Brien

Tout pour tout le monde – Une histoire orale de la Commune (ou Everything For Everyone: An Oral History of the New York Commune, 2052-2072 en VO, version que j’ai lue) est un roman qui sort en mai prochain en français aux éditions Argyll.

Le texte se présente sous la forme d’une collection d’entretiens (menés à la fin de la décennie 2060 début de la décennie 2070 à New York) qui éclairent la manière dont le monde dans lequel aujourd’hui (2024) nous vivons s’est effondré et dont la société s’est reconstruit sur un modèle différent (les Communes).

Centré principalement sur les USA, et New York, l’histoire présentée touche également le reste de monde. Des années marquées par la violence de la fin du capitalisme (guerres internationales, guerres civiles, lutte des classes, etc.) jusqu’à la mise en place des Communes qui remplacent les gouvernements par des assemblées citoyens ancrés dans un cadre local et qui ont permis la mise en place d’un système collectiviste où les besoins de chacun sont garantis et qui redéfini les relations familiales, Tout pour tout le monde brosse un panorama d’un futur violent mais aussi montre qu’une autre société est possible.

Et c’est dans ce sens que Tout pour tout le monde est une lecture très intéressante. En effet, le roman permet de faire voir qu’une autre manière d’organiser la société est possible. Certains trouveront peut-être que les Communes sont utopiques, mais imaginer un monde où les besoins de base de chacun sont garantis, où les relations familiales et amoureuses sont fluides pour refléter les affinités de chacun, et où les individus sont acceptés pour ce qu’ils sont me semble quelque chose d’important et de souhaitable.

Triste Tigre de Neige Sinno

Difficile pour moi de parler de Triste Tigre de Neige Sinno. Il y a eu plein d’articles et de chroniques par des gens qui ont une bien meilleure plume que moi et le sujet très important du livre est sensible. En effet, dans ce texte multi-primé, Neige Sinno raconte et décortique les viols que sont beau-père lui a fait subir entre ses sept et quatorze ans. Elle le fait avec une plume limpide et incisive qui donne à son texte une clarté éblouissante.

Triste Tigre n’est pas le récit détaillé des sévices qu’elle a subit (il y a quelques mentions, mais très peu de détails crus) mais une exploration détaillée, via le récit de sa vie (du début des sévices jusqu’à sa vie actuel au Mexique, en passant par le procès, qui, fait rare et probablement du aux aveux de son beau-père, a vu son agresseur condamné, de plusieurs aspects de la condition humaine.

En effet, le récit est complété par des réflexions sur ce que vit intérieurement une victime et un agresseur. Mes mots sont maladroits, mais le lecteur trouvera dans Triste Tigre une réflexion sur le mal, la perversion, l’humanité, les mensonges qu’on se racontent et bien sur le tabou de l’inceste.

Triste Tigre est percutant, bien écrit et dans une réflexion profonde. Une lecture qui ne me laisse pas sans énormément de choses à réfléchir et des questions sur la part sombre de l’être humain.

When Women were Dragons de Kelly Barnhill

Les USA, 1950, Alexandra Green, Alex, est fille unique dans un couple où le père est souvent absent et la mère femme au foyer (bien qu’ayant fait des études de mathématique brillante). Sa tante, femme forte et atypique, est une ancienne pilote durant la guerre, est également une présence importante dans sa vie.

Lorsqu’en 1955 une proportion importante de femmes se transforme en dragon, dont sa tante, la vie d’Alex change car sa cousine vient vivre avec elle et devient sa sœur. La mort, quelques années plus tard, de sa mère et le remariage de son père vont la faire grandir vite car ce dernier les exile alors loin du foyer.

When Women were Dragons brosse un portrait sans concessions de la place de la femme dans le monde profondément misogyne des États-Unis des années 50 et 60. Au travers de l’histoire de Alex, racontée à la première personne dans un texte écrit au crépuscule de sa vie, dans un monde mâtiné de magie : les femmes peuvent devenir des dragons.

Au final, le roman utilise peut-être une métaphore très transparente (« la femme est un dragon ») pour parler du coming of age d’une jeune fille qui fait face au monde des hommes. Mais l’autrice le fait avec un certain brio qui fait de cet excelent roman une lecture très agréable .

Eutopia de Camille Leboulanger

Gros roman (600 pages) de Camille Leboulanger, Eutopia est à la fois un récit de vie et une utopie solarpunk (une vision du future plus lumineuse du devenir de l’humanité).

Le lecteur est ainsi invité à suivre la vie de Umo, de sa plume, de sa naissance dans le petit village de Pelagoya jusqu’à sa vieillesse dans le village dont il est un des fondateurs. Sa vie est marquée par l’amour qu’il porte à Gob, une femme qu’il a rencontré enfant et dont le spectre de son amour et de leur histoire planera sur toute sa vie.

Le récit touche déjà là à quelque chose qui résonne en moi : la vie d’un individu, ce qui le marque et le façonne, et les choix qu’il fait. Mais le roman est aussi une chronique d’un autre monde possible. En effet, Eutopia se déroule dans un futur moyennent lointain où la mentalité de l’humanité à pas mal évolué par rapport à aujourd’hui.

Suite à la fin de la période « des camps » et la Déclaration d’Antonia, le monde est passé dans une logique non propriétariste et de décroissance. L’humanité se concentre dans des villes et des régions précises laissant une bonne partie du monde à la Nature. Les enfants sont élevés en commun et les besoins basiques de chacun sont assurés. Une organisation politique au croisement du communisme et de l’anarchisme s’est mise en place et le rythme de vie est « tranquille » (« nous avons le temps » étant un dicton souvent utilisé).

Eutopia est un roman servi par son écriture de qualité qui déroule la vie d’un homme dans une société qui ne met pas les priorités aux mêmes endroits que la notre. Bien que des esprits chagrins pourraient trouver le récit un peu longuet et la société de la Déclaration d’Antonia parfois un peu naïve (personnellement, mais je suis un pessimiste cynique, je suis beaucoup moins optimiste sur la nature profond de l’humain que l’auteur), Eutopia est un roman très agréable à lire et j’ai passé un excellent moment de lecture.